Trésors et Cie vous propose de découvrir quelques unes de enquêtes qui ont marquées le monde de l'art ces dernières années. Après le kleptomane collectionneur, voici notre deuxième volet : le faussaire œnologue qui a dupé les plus grands experts !
Docteur Conti & Mister Huang
Le début des années 2000 a vu s'amorcer l'âge d'or des ventes aux enchères de vin, une ascension fulgurante avec l'apparition de collectionneurs fortunés issus des technologies, start-up et autres millionnaires du web. La dernière mode devient la quête des grands crus des domaines français à coup de millions de dollars, pour pouvoir afficher sa fortune sur les réseaux sociaux ou épater ses invités.
C'est à ce moment qu'apparaît dans le milieu , Rudy Kurniawan , jeune millionaire d'origine indonésienne d'allure gentiment loufoque mais au porte-monnaie bien chargé et décidé à faire sa place dans le milieu des collectionneurs de vins américains.
A coup de milliers de dollars, il fait monter les enchères à des prix vertigineux et s'offre de manière compulsive les plus belles bouteilles de Romanée-Conti, Clos Saint Denis, Petrus ...avec une prédilection pour les Bourgognes d'où son surnom de Dr Conti.
Sa réputation d'acheteur acharné lui ouvre vite les portes du sérail des amateurs de vin les plus connus d'Amérique, et notamment celle de son mentor Paul Wasserman, vendeur reconnu sur le marché. C'est lui qui apprendra à Rudy Kurniawan tout ce qu'il y a à savoir sur les grands crus de Bourgogne.
Doté d'un palais et d'une mémoire exceptionnelle, Kurniawan se révèle vite être un élève exceptionnel. Au cours d'une dégustation il peut définir l'année , le terroir, et même la parcelle d'où provient le vin. " J'ai vu peu de gens apprendre le Bourgogne aussi rapidement que Rudy" dira de lui Allen Meadows le critique réputé.
Un mystérieux collectionneur
Mais sous l'allure avenante et les centaines de bouteilles qu'il achète à grand frais, Rudy Kurniawan reste néanmoins un personnage mystérieux dont personne ne sait finalement grand chose . Si il avoue volontiers que Rudy Kurniawan est un nom d'emprunt ; impossible de connaitre la vérité sur son parcours et l'origine de sa fortune , le jeune homme change les versions et sème le doute.
Au sommet de son art d'expert en grand cru, il organise des séances de dégustation de vins issus de sa cave avec les plus grands collectionneurs auquel il revend quelques bouteilles. Sa rencontre en 2003 avec le jeune commissaire priseur John Kapon de la maison de vente Acker Merall & Condit est déterminante. Celui-ci , jet-setteur sulfureux finit d'introduire Kurniawan dans le sérail de l'élite des amateurs de grands crus dans lequel celui ci fait sensation.
"C'était la star du milieu des oenophiles américains" dira son ancien mentor Paul Wasserman, "tout le monde voulait le connaître. Une vraie légende."
la vente de trop
En 2008, Kapo et Kurniawan décident d'organiser une vente aux enchères à New York d'une partie de sa cave . Au catalogue une flopée de bouteilles toutes prestigieuses les unes que les autres, cet énorme collection promet de rapporter près de 20 millions de dollars. Mais certains amateurs américains commencent à douter de la provenance de ces flacons. Comment un seul homme peut il posséder en si grand nombre les bouteilles pourtant si rares sur le marché ?
Un lot notamment, de 97 bouteilles de Clos Saint Denis du Domaine Ponsot présentant des bouteilles allant de 1945 à 1971 met la puce à l'oreille de l'avocat Doug Barzelay . Amateur de vin, celui ci à des connexions en France avec les grands domaines, notamment celui de son ami Laurent Ponsot.
Rapidement mis au courant, celui ci confirme à son ami Barzelay que ces bouteilles n'existent pas, le domaine n'a commencé à produire le fameux Clos Saint Denis qu'en 1982 ! Pire certains flacons annoncent une cuvée datant de 1929 alors que le Domaine Ponsot n'existe que depuis 1934 . Aussitôt Laurent Ponsot monte dans le premier avion pour New York afin d'arriver dans la salle de vente in-extremis pour annuler la vente de ces contrefaçons ! Il comprend alors rapidement qu'il a sous les yeux un trafic de fausses bouteilles d'une ampleur impressionnante.
Après avoir demandé une rencontre avec Rudy Kurniawan, et tenté de lui soutirer des informations sur la provenances des fameuses bouteilles. Il se fait mener en bateau par le faussaire et comprend que le réseau sera difficile à démanteler
Laurent Ponsot, propriétaire du Domaine Ponsot
le FBI sur ses traces
Un coup de téléphone en 2010 du FBI va lui permettre enfin de participer au démantèlement de cette escroquerie d'une envergure sans précédents. Les enquêteurs sont sur les traces d'un jeune chinois dénommé Zheng Wang Huang, entré sur le territoire en 1998 à l'aide d'un visa étudiant périmé depuis 2003, celui ci vivrait depuis illégalement aux Etats Unis sous un nom d'emprunt : Rudy Kurniawan.
Ils le soupçonnent d'avoir écoulé sous couvert d'anonymat des centaines de faux millésimes pour un préjudice de plusieurs millions de dollars au cours de ces 10 dernières années. Un collectionneur américain, Bill Koch, lui a même intenté un procès pour vente de faux grand cru et a lancé des enquêteurs privés sur les traces de Kurniawan.
Laurent Ponsot accepte de leur offrir son aide et participe activement à l'enquête qui débouchera le 8 mars 2012 à son arrestation
Devenu un faussaire obsessionnel, Rudy Kurniawan ne peut s'arrêter de copier. Malgré le filet qui se resserre autour de lui, l'homme se croit intouchable et provoquera sa perte.
Un laboratoire clandestin
Arrêté dans sa propriété d'Arcadia, en banlieue de Los Angeles les policiers découvrent alors un incroyable laboratoire clandestin .
Des rangées de centaines de bouteilles vides, une imprimante laser haut de gamme, un catalogue d'étiquettes anciennes, de la cire à cacheter et des bouchons de lièges. Mais surtout un livre de recettes bien particulières ,
On y trouvait , entre autres comment obtenir un Pomerol des années 40 en mélangeant des vins californiens relativement récents, ou encore qu'en mélangeant deux Château Pétrus 1980 et 1985 vous obtiendrez un Pétrus 1983, rarissime et hors de prix !
Bouchons,capsules et etiquettes de grand cru provenant du laboratoire de Rudy Kurniawan
Au total, près de 19.000 étiquettes "représentant 27 des meilleurs vins" au monde ont été retrouvées chez lui, dont 40 étiquettes de Romanée-Conti 1945, une année tellement rare qu'il n'en existe plus. L'Asiatique travaillait à partir d'une étiquette authentique, changeait l'année, parfois d'un seul chiffre, ajoutait un tampon, un numéro de série... et imprimait le tout en haute résolution avant de les vieillir artificiellement.
Ainsi tombe le masque de la "cave magique" de Rudy Kurniawan !
Un procès qui remue le milieu des oenophiles
Malgré une condamnation à 10 ans de prison , l'affaire Rudy Kurniawan n'a pas livrée tous ses secrets et continue de faire des remous dans le petit monde des amateurs de vins rares.
" Qui a crée cet homme ? " s'interroge encore Laurent Ponsot Il n’a pas de parents milliardaires. Il n’est pas indonésien, il vient de nulle part. Il y avait bien quelqu’un pour lui donner tout cet argent en si peu de temps..." Si on mentionne la pègre asiatique avec laquelle sa famille aurait des liens, il reste une incertitude sur le rôle de certains grands noms du marché.
Nombreux sont ceux qui pensent que le faussaire n'a pas pu agir seul pour monter un réseau d'une telle ampleur. Qui lui a appris les fameuses "recettes" ? Comment un néophyte a t il pu aussi rapidement duper les plus grands collectionneurs ?
Enfin si Rudy Kurniawan a bien été démasqué , l'enquête de grande ampleur qui a suivi dans le monde des enchères de vins à prouvée que, sur un échantillon de grands crus suspects, 75% des flacons des contrefaçons provenaient de chez lui. D'où viennent donc les 25% restants ?
Si les producteurs de vins se félicitent du démantèlement de ce trafic, il n'est pas facile de continuer à faire la chasse aux fausses bouteilles .
Plusieurs autres réseaux continuent de produire, notamment en Europe estiment les spécialistes , mais la spéculation des grands crus contribuant à faire grimper les prix toujours plus hauts . Certains producteurs et vendeurs ne voient pas l'intérêt de balayer un trafic déjà très avancé.
Quand aux acheteurs eux-mêmes, certains préfèrent fermer les yeux, préférant se dire que leur grand cru est bouchonnée, plutôt qu'issu d'un laboratoire clandestin , c'est meilleur pour l'ego ;)
Ci dessous , un reportage vidéo sur cette passionnante affaire :